LE MELANGE CONTRARIE DES ANGES (livre pour adulescent , dernière partie du"CREPUSCULE DE LA LITTERATURE ET DU DELIRIUM TREMENS")
Patrick Rako
Le mélange contrarie des anges
Prélude
Chapitre I : le corps émiette
Chère Lou, chère Loulou, chère Louise, tes yeux merveilleux ne se porteront pas sur ces lignes avant quelques années. Le temps que tu ajoutes à ta grâce de petite fille les centimètres supplémentaires qu’il faut pour ouvrir un livre a l’endroit et le lire réellement, sans imiter ton père comme tu le fais, en t’asseyant dans le canapé un livre ou un journal trop grand sur les genoux,l’air absorbe et la mine très sérieuse comme lui, sans rien comprendre de ce que tu lis, comme lui.
Je n’ai pas à te mettre en garde de quoi que ce soit, ni justifier que je t’écrive autrement qu’en raison de l’amour que je te porte. Une certaine familiarité avec la destinée aléatoire, sinon injuste, des hommes, me fait tout de même espérer que lorsque tu me liras, ce livre ne soit pas le seul bien que t’ai transmis notre famille. Si tant est qu’un livre puisse être un bien, celui-ci ne te sera pas aussi nécessaire qu’un repas inespéré, si un jour tu connais la faim. Tu pourras tout de même y abreuver ton esprit du souvenir d’un temps qui, pour toi devenue grande, ne sera peut-être que l’écho lointain d’une génération précédante qui protégeait tes rêves d’enfant et dont tes préoccupations actuelles t’éloignent. Au mieux, ce sera un réservoir d’expériences, de sentiments, une rencontre avec des fantômes, des idées folles, une drôlerie pour toi ou peut-être un choc.
C’est pourquoi, si on ne t’en a pas fait par, sache que ma morale n’est sans doutes pas celle qu’on peut espérer d’un ainé. Elle est trouée de partout, vide,instable, comme le vent destinée a passer.Une morale d’écorché, sans rien sur elle qui ne reluise que son impertinence vis-à-vis de la quasi majorité des systèmes de valeurs ; une morale bizarre, consciente du bien, souvent pas du mal que peut provoquer ses faux oublis, ses arrangements avec elle-même. Socle embryonnaire, aussi, incapable de servir de lumière a mes actes, qui ne me dispense pas non plus d’éprouver de la culpabilité, mais fait de moi un homme capable de tout. De toutes façons, tu le ressentiras comme une déchirure, en seras même le témoin : les hommes sont réellement capable de tout. Sache que moi aussi j’ai été capable de tout, même d’aimer.
Il y a peu, lorsque j’étais venu te garder avec ton grand père, comme tes parents devaient sortir, j’ai passé la soirée à te toucher les oreilles. Du moins, chaque fois que tu es venue vers moi. Ce qui a semblé t’agacer prodigieusement à chaque fois : soit, trois fois de suite. Et comme tu n’es pas du genre à te laisser faire : tu m’as regardée avec tes grands yeux fabuleux, mi intriguée, mi décontenancée. Je t’ai souri. Puis, tu as senti qu’il n’y avait rien à espérer de mieux de moi qu’un tripotage d’oreilles – ce en quoi tu avais raison – alors tu t’es tournée vers ton grand père, gaga de toi, et tout heureux de t’offrir ses bras pour le reste de la soirée, en un câlin plus conventionnel qui semblait mieux te satisfaire. Sur le moment, j’ai adoré ton regard intelligent et l’omnipotence de ton désir. Plus encore ta prestance de reine de deux ans, sérieusement déterminée à ne pas s’avilir pour être câlinée .C’est merveilleux : je ne me force jamais avec toi. Incomparablement plus chic, tu ne te force avec qui que ce soit. Ton âge bien sûr, mais aussi ton caractère déterminent cette attitude admirable qu’il faut maintenir avec les hommes. Nous verrons cela plus tard.
Tandis que tu somnolais dans les bras de ton grand père je me disais : à cette heure, j’imagine, inquiet, le gouffre de désespoir dans lequel je vais plonger ton grand père, ton père, et toute notre famille en mettant en œuvre le projet que je me suis fixé. Si tu as un peu d’humour plus tard, tu te diras qu’il en avait de drôle de projet l’tonton. Je sais : se suicider n’est pas un projet conventionnel. Quand un suicide dénote une certaine complexité, ou une organisation qui n’est pas anodine, il y a lieu de penser qu’il s’agit d’un acte prémédité, voir soigneusement planifié. C’est mon cas. Car jusqu’à présent, malgré l’apparente folie de mes actes : le désespoir, la fureur destructrice, le mépris du néant qui ont pu m’empoisonner l’esprit, n’ont jamais provoqués chez moi l’inspiration ultime du suicide ! Celle qui, un soir plus frustrant que les autres, vous pousse à improviser votre propre meurtre. L’œil hagard de l’occasion, du moyen. Le corps, cette machine pensante vibrante de sentiments, parfaitement obéissant… . Puisses-tu n’être jamais inspirée de la sorte : l’esprit vit une hallucination que le corps réalise. Et si on est pas frappé par l’inconscience de son acte, réveillé par le jaillissement de la peur ou une explosion en soi de lucidité : il n’y a rien à faire que s’en remettre à la chance. Il n’est même pas nécessaire d’être décidé pour être un suicidé. La mort peut ne pas prendre celui qui la défit souvent, elle se repait assez fréquemment de ces aventuriers novices et indécis qu’elle embarque de force, quand ils ne cherchaient qu’a être compris ou divertis. Je te mets en garde de jamais leur ressembler : parmi eux se comptent nombres d’adolescents et de jeunes adultes.
Non, si je suis souvent appelé « jeune homme » par mes commerçants, je ne veux pas faire parti de ce contingent la de suicidés. Mes actes auront été pensés, imaginés longtemps à l’avance, froidement. L’important pour moi étant de ne pas agir dans la précipitation, sous le coup d’une émotion terrifiante. Si je veux me mêler à la nuit, lorsqu’ aura sonné l’heure, les choix d’autrui n’y pourront rien changer : la transparence et l’infini seront mon seul désir et l’essence de mon choix propre. Ne me considères pas comme une victime, ne me juges pas, ne me suis pas. Si tu me cherches, lèves la tête : le corps en « v » d’un oiseau glisse sous les nuages, peut-être est-ce ton oncle ? A moins que ce ne soit ce bourdon qui te fait peur. Ce nénuphar un peu trop calme, prés duquel il est rigolo d’observer s’écraser des cailloux dans l’eau. J’imagine mon corps divisé en milliard de particules, chacune poursuivant un destin qui lui soit propre : celles légères comme l’air ballotées au gré du vent, d’autres mêlées à la terre, ou devenues indistinctes des particules d’ un arbre, d’une plante, d’un animal. Tout cela à la fois. Peut-être, en ce moment, suis-je devenu transparent, évoluant dans une certaine proximité avec les hommes, ou côtoyant le firmament à la recherche du bord de l’univers. Dans ce cas, associes moi à la fraîcheur du vent sur tes joues. Qui te dit aussi que ce rayon qui passe la fenêtre et te réchauffe la main ce n’est pas ma caresse ? Et s’il n’y a vraiment rien à par Dieu, ce que je crois, ni plus ni moins qu’un souvenir, je suis un courant électrique qui passe d’un neurone à un autre, et cela me suffit.
Cela apaisera-t-il nos parents ? J’ai peur que non. C’est une grosse bêtise que de mourir et je n’ai pas toujours été bête. Finalement, peut-être ne suis-je compréhensible que pour une personne à l’orée de sa vie ? Selon cette considération , ce livre te sera accessible quand – telle une connaissance d’un ami – sénile et oubliant la moitié de ta vie, tu descendras dans la rue, pas coiffée ni lavée , en chemise de nuit ou tout autre attribut des vieilles de ton époque, lucide par brefs moments, comme cette mamie, dis-je, qui s’acharne à vendre aux passants … des carottes râpées que lui a apportée son auxiliaire de vie, carottes qu’elle vend à la cuillère , parce qu’elle croit ne plus avoir d’argent, et parce que c’est vrai : c’est plus rentable au détail … .
Cette vieille : c’est toi, c’est moi. Elle débloque de tous les cotés, pareille à ses carottes chimiques, baignant dans une sauce incertaine, c’est un gros plat de nouilles en forme de vers, à cette heure. Je ne me vois pas d’autres destins. Je ne te vois pas d’autres destins. Voila pourquoi je vais vivre comme jamais avant de partir en fumée. Et si je ne vis que des choses modestes dont j’ai l’intention tout de même de te faire part,-depuis ton lit d’hôpital ( à l’époque ou tu me liras s’il en reste encore ) , ou si tu es chez toi entourée de tes enfants, ou seule avec ton chien ou ton chat qui s’oublient partout, j’espère ne pas te soutirer que des larmes de tristesse, mais bien des sourires tout aussi bien.
Chapitre II : argent : 10000 kilogramme par mètre Cube
Il y a une chose Lou, qui d’ici vingt ans devrait encore exister, du moins si ce n’est pas la seule chose qui reste à manger : je veux parler de l’argent, ce fragment de verbe désenchanté dont tout le monde parle aujourd’hui sur terre. Les hommes en sont avides, les femmes friandes, pour la raison que la possession de ces fragments assure un divin statut. Car ils sont ,ni plus ni moins ,que le corps de Dieu : ils permettent d’acquérir, de manger tout ce qu’il a créé, en évoluant parmi d’autres Dieu et Déesses de même niveau. Il est dit dans la bible que les fils de Dieu aimèrent les filles des hommes. Telles que sont devenues les uns et les autres depuis, tu as du te rendre compte que c’est plutôt l’inverse qui est exact. Le fric des Dieux est de la poudre aux yeux ! Ne me dis pas : il faut bien se maquiller… ta moralité m’impressionnerait.
A côté de ces Dieux, maître des instruments de production et de ces hommes esclaves de leurs dettes, se distinguent une troisième catégorie : les héros. Déjà plus des hommes, presque des Dieux ; mieux que des Dieux, encore des hommes- les héros tirent les uns et les autres vers un idéal commun : la célébrité, l’impunité, le fric, le clonage de soi même , et le talent de gérer ces cinq composantes de la légende du héro. J’ignore si ton époque montre d’elle, à la télévision, un résidu de civilisation, un concentré de niaiseries et de crimes – si tu le supporte aussi peu que moi-même ; si malgré tout, les artistes – une catégorie de héros – enchantent ton oreille, régalent ta pensée de mots et de visions suffisamment sublimes pour t’aider à survivre, à bord du rafiot éventré, sans capitaine, rempli d’esclaves qu’est l’humanité moderne ? Peut être es tu sur le ponton, allongée sur un transat, Déesse toi-même en compagnie des Dieux ? Ou perdue en fond de cale, parmi les grouillants esclaves ?
Plus sûrement tu es une jeune fille charmante. Tu chantes quand tu es heureuse. Les garçons, des gredins, se retournent sur ton passage. Tu parts en vacances depuis que tu es petite. Ton expérience de la collectivité t’a dotée d’une confiance en toi certaine. Tu illumines la vie de ton entourage avec tes yeux de vingt ans. Tes parents sont vieux. Parfois, tu te demandes même s’ils ont jamais été jeunes. Ils t’aident quand même à poursuivre tes études ou soutiennent tes ambitions d’artiste. Leur éducation t’a pourvue de l’indépendance des jeunes filles bourgeoise, et dotée de la politesse des gens de classe moyenne. Du reste, tu en connais les limites, en respectes les usages quand cela te sert. Une partie de toi se bat peut-être contre ce réseau de convenances que tu trouves ridicules et les rebelles t’attirent. Ou alors, tu as acceptée de ne pas t’identifier à une fille de mauvais genre et situes ton personnage dans un rêve chic et décontracté … et les rebelles t’attirent quand même. L’esprit naturellement ouvert sur une société multiculturelle : tu connais un garçon que tu fréquentes et il peut être blanc, noir, jaune ou basané, avoir les cheveux verts ça n’a pas d’importances. S’il a les cheveux verts c’est mieux même : c’est à la mode. Une seule chose compte : avec lui prend corps le concept le plus important qui trône dans tes cellules : l’amour. Ce n’est peut-être pas le bon ni le seul, mais enfin tu aimes aimer et être aimée. Ou alors je ne comprends rien à la jeunesse, et l’amour vous emmerde, et il ne reste plus rien de l’amour. Passons… je t’imagine tonique et active comme ta mère, pas molle et paresseuse, ce qui n’est pas un jugement de valeur pour moi ni autre chose qu’une remarque générale.De plus: J’en suis sûr ,ta vivacité d’esprit, servie par un milieu socioculturel favorisé, ajouté à tes nombreux voyages, cela doit rendre ta conversation agréable et intéressante. Ce qui ne t’empêche pas de t’enticher de garçons sans cultures dont on ne sait que faire en position verticale. Des rebelles contemporains sans doutes ? D’un autre côté, ton père et ses quarante paires de chaussures, le fait que tu sois une fille, t’inclinent à aimer les fringues et surveiller particulièrement ton look. Tu parles chiffons et strings aussi bien que de Baudelaire, peut-être mieux. Ce n’est pas grave : Baudelaire aurait rêve porter des strings. Il avait les cheveux teints en vert à un moment : c’est dire combien un dessous de ton époque lui aurait convenu… .
Je ne me trompe pas en disant que tu vis dans une société dont prés de la moitié des membres ont grosso modo l’âge de tes parents ou plus, si les données statistiques de vieillissement de la population n’ont pas été inversées d’ici la. Si je peux me permettre un conseil, au delà de la barrière de l’âge, de la condition sociale et religieuse, ton discernement doit être orienté par le degré de connerie. La connerie est universelle et quand à son degré, c’est comme l’alcool : certains ont dépassé les 90 degré et au delà c’est vénéneux. Evidemment : un con ça peut distraire et faire la conne ça peut détendre. Le sachant : trouves toi d’autres distractions et concernant la détente : jamais après minuit, entourée de loup mal fâmés, même s’ils portent des costards : tu serais leur distraction pour le coup. Au sujet du rapport jeunes- vieux, en ta défaveur comme tu fais partie de la catégorie la moins déconfite, généralement celle qui n’a pas le pouvoir – j’ose espérer que tes parents et leur génération se rappelleront les conneries qu’ils ont pu faire, sans avoir à retourner leur veste à l’approche de la cinquantaine, comme il semble que c’est le cas de la génération de ton grand père laquelle – après avoir fait presque la révolution (tu sais, mai 68, les barricades, les grèves, un président dans la panique qui met 60 million de francs de côté histoire d’instituer un gouvernement à l’étranger ) ; après avoir fait allègrement l’amour à quatre pattes dans les champs, le nez dans les champignons rigolos ; après s’être inventée de nouveaux héros : les Dieux du rock’ n’roll, une nouvelle nourriture spirituelle : la nausée d’un monde injuste – génération qui finit, à mon époque, suffoquée par la dite culture jeune qui avait fait son panache et son originalité, et dont elle avait été la première instigatrice – génération qui se révèle érintée de travail ou de chômage, malade, aigrie d’impuissance, pas moins dupée qu’avant la révolte par une machine que les forces de sa jeunesse ont quand même optimisées et que, dans les derniers moments de lucidité de sa vieillesse, elle pense peut-être encore pouvoir diriger autrement que vers le mur… .
Machine éventrée dans laquelle tu es, toi, jeune et belle,encore curieuse de toute cette taule, ces boutons, cette électronique, ces sons synthétiques… Mais, surprise, je crois, par ce mouvement de l’océan agitant la carlingue aménagée pour flotter, décontenancée par une voix inhabituelle venant peut-être des machineries.Ce ne sont pas les turbines, les compresseurs, les visses qui tombent, les poulies, les roues dentées, l’anatomie gastrique du monstre en décomposition qui se font entendre de toi. L’univers sonore ,mécanique , électronique, quantique, antisceptique, t’est familier : écoutes mieux, il s’agit d’autre chose. Depuis les soutes un esclave a crié, et tous les pouilleux se sont mis à hurler cette nuit… .
En bas, on a cru qu’il n’y aurait pas assez de billets de banques pour tout le monde. Pour les contenter, les agents ont recyclés tous les livres en biftons, histoire de leur faire plaisir. Les ballots de frics, en chutant, ont écrasé dix esclaves. Cependant, tous étaient soulagés et le calme est revenu. Sur le ponton, des Dieux affirment qu’on tient le bon bout. Il n’y a qu’à inventer plus de fric ! De toutes manières, ils savent, au fond d’eux, qu’il n’y a pas de capitaine, pas d’itinéraire, pas de retour en arrière, pas d’échouage possible. S’il coule, on dit que le bateau est un sous-marin, point barre ! avance hilare une déesse. Mais l’un des Dieux a levé les bras. Il déclare aux autres combien il est nécessaire d’aimer, même sur un lit de poussière, quand bien même il ferait noir au milieu de l’océan. Tous approuvent cet élan poétique en riant. Les coupes s’entrechoquent. C’est décidé : la prochaine fois les Dieux feront la promotion de l’amour en tablant sur un rabais fédérateur. Il n’est pas question de lâcher un dollar, fut-il faux ! En route vers Macao mes amis !
ChapitreIII : Rotterdam,Macao,Diego-suarez,en deça …
– Non mais c’est incroyable !
– Quoi ?
– Regarde !
– Quoi ?!
– Il y a une femme la bas !
– Où ?
– La haut, regarde : juste la !
– Mais qu’est-ce qu’elle fait ?
– Je ne sais pas …
– Non de non. Elle est dingue ! , c’est interdit de monter sur ces engins !
_ interdit, interdit : les jeunes s’en moquent tu veux dire. Ils ne respectent rien. C’est vraiment honteux.
– Elle fait quoi, la ?
– Elle continue de grimper… Quand même je te jure… c’est de l’inconscience, de l’inconscience !
– Des qu’on arrive à la maison, je préviens la police.
Non mais tu te rends compte du danger ?
– Il n’y a rien à dire, rien à faire. Je te dis que cette génération a du plomb dans la tête !
La petite voiture bleue file tout droit après avoir tourné au niveau du chantier. D’autres voitures, aussi minuscules, lui emboîtent le pas. Leurs moteurs ralentissent dans le tournent et dans la ligne droite sont sollicités par des gens soucieux de rentrer chez eux. Il se fait tard. Des trottoirs qui longent la palissade ne montent pas d’exclamations, dans les rues, il n’y a plus personne. Les vrombissements indifférents déchirent le silence frais et venteux.
A vingt mètres de hauteur tout est irréel et désert. L’haleine de la nuit saisit son corps agile sans l’entraver. Le souffle du vent passe seulement par vagues rappelant à son esprit le caractère vivifiant des éléments. Sous sa main, le fer est plus froid que le fond de l’air. Mais elle monte. Barreaux après barreaux. Et bientôt elle dépasse les immeubles alentours. Elle est très haut maintenant. Au point que les rues lui évoquent un circuit sanguin quelconque, mesquin, lent, mécanique plutôt qu’humain et étranger à elle-même. C’est cela : en bas, un flux si régulier et si indifférent au dérèglement qu’elle ressent en elle. Son cœur bat fort dans sa poitrine. Elle marque une pause dans son ascension. L’horizon est une silhouette noire, allongée, impressionnant défilé de crêtes d’immeubles, de toits de maisons, et de collines noires. Tout autour d’elle, la ville, froide et comme pétrifiée en un instant suspendu, foisonne, fourmille de lumières immobiles et de géométries sombres et endormies. J’en suis sûr, avec le vent qui s’engouffre dans ses oreilles, elle ressent l’immensité comme lorsqu’on écoute le cœur d’un coquillage. Ses membres sont un peu raides et froids comme le fer. Mais la nuit solennelle est reposante et belle et l’immensité un manteau avec lequel elle fait corps.
Je la vois considérer le ciel, avec ces nuages tellement nombreux, si variés et en même temps semblables de légèrete et de profondeur. Ces entrelacs de gaz sont si imposant qu’ils doivent faire entrer une infini beauté dans ses yeux que j’imagine gonflés. Je suis a mon tour hypnotisé par la structure métallique, elle dessus, les nuages tout autour. Leur station aléatoire au milieu du ciel m’apparaît un jeu subtil ou il s’agit de cacher l’activité humaine du regard perçant et scintillant des milliards d’étoiles qui constellent la voûte céleste.
Soudain je crie mais Marianne ne fait pas attention. Son esprit est comme suspendu dans le silence, un silence conscient. Je sais qu’elle devine la présence de Dieu derrière ce silence qui lui parle. Je crie encore, mais le cou translucide de la grue semble avoir avalé la jeune fille. Le chantier entouré de palissades s’éloigne. La grue émergeant au milieu rapetisse. L’infime silhouette que je devine debout sur la flèche, disparaît. La petite voiture de Marianne file vers les artères de la ville, artères si régulières, si indifférentes au dérèglement que Marianne ressent en elle en ce moment.
Je ne cesse de regarder Marianne. En tournant le volant, elle ne peut s’empêcher de croiser mon regard. Ses yeux éloquents me disent : la faille qui parcourt ma vie craquelle mon esprit. Il en sourd une douleur psychique qui ne m’a pas lâchée depuis des mois. Je me réveille l’angoisse au ventre, traverse les journées sans passions, consciente d’une sorte d’incapacité obsédante que j’attribue non à la dépression mais a l’incomplétude reddhibitoire de mon être. Si tu me prends pour une cruche, casse toi !
Une autre fois, son regard se durcit : une inquiétude transparaît puis de l’énervement et du désespoir. Les yeux de Marianne, à la beauté voilée par la tristesse et la fatigue, sont peu mobiles, plutôt figés par des pensées intérieures absorbantes et répétitives. En réalité c’est étrange, quand elle tourne la tête dans ma direction, Marianne me regarde sans me regarder. Exactement comme si elle était seule dans l’habitacle de sa petite voiture. Or, à la première question qu’elle me pose enfin, je comprends pourquoi elle ne m’a pas entendue crier, et aussi que je ne suis pas vraiment avec elle.
– Tu es là ? dit-elle. Je sais que tu es là. Je t’aime Mamie, tu sais … je t’aime… et je suis malheureuse. Et ils veulent à nouveau m’envoyer chez les fous. Et j’en éprouve de la haine. Et je ne me laisserai pas faire. Je ne retournerai jamais là-bas, jamais !
– Ma petite Nanou, je te comprends, je t’aime, je t’ai toujours aimé, ne fais pas de bêtises, sois patiente, comprend qu’il ne comprennent rien, et je t’en conjure : n’agis pas inconsidérément, écoute ta grand mère : il n’est pas encore temps : tu es jeune, ton mal passera comme un chagrin foudroyant dont on ne se rappelle plus, après, qui même avait pu le susciter, écoute ta grand mère, calme toi… Tu ne sais pas ou tu vas, n’est-ce pas ?
Ces paroles je les avait prononcé sans même y réfléchir. Ou peut-être étais-je témoin d’un dialogue entre Marianne et… le vide : mes membres, mes organes étaient inexistant ! L’instant d’après, je me revois flotter prés de Marianne, le long du trottoir. Vaguement étonné de ne plus être dans sa voiture. Soudain alerté en reconnaissant la palissade devant laquelle Marianne s’est immobilisée, car elle regarde la flèche d’une grue immense, loin au dessus, qui déborde du chantier et dont la pointe surplombe la nationale vingt.
Moi aussi je suis impressionné par la hauteur et un frisson m’envahit quand Marianne se décide à bouger. Je tente de la retenir. Ma main passe au travers de son épaule. Je m’époumone à l’appeler. Elle a déjà passé la palissade. Quand je lui barre enfin le chemin, c’est peine perdu : je n’ai pas de consistance et elle, elle se dirige vers la grue en automate. Sans se retourner. Le regard obnubilé. La poitrine soulevée par une respiration profonde, pareille a celle d’un athlète avant une performance.
Après, je ne me souviens plus très bien. Il me semble que plusieurs voitures roulent sur une tache imprimée sur le bitume. Ton grand père se tord la bouche et ses yeux deviennent très tristes en apprenant que c’est ce qui reste de Marianne. Puis apparaissent petit à petit, le bureau, le cendrier rempli de mégots, l’ordinateur devant moi, le standard et la vitre qui me sépare du hall. Tout ce de quoi m’a éloigné mon rêve.
Je lis quatre heures sur l’horloge électronique. J’ai du dormir une heure, me dis-je. L’équivalent de ma pose syndicale. En m’étirant, je sors de ma cage de verre afin d’examiner le salon de réception contigu au hall et tout aussi désert que lui. En revenant, je me dis que la fille de tout à l’heure va peut-être repasser. Je ferme les yeux, songe un instant à anticiper l’heure syndicale de détente du lendemain. Qui ça peut bien déranger ? Et qu’est-ce que c’est une heure ? Qu’est-ce que c’est une heure ? La phrase résonne à l’intérieur de moi et son écho annihile ma conscience.
J’ouvre les yeux : Marianne avance sur la flèche de la grue. Elle en a presque atteint la pointe. Qu’est-ce que c’est une heure ? Ca peut être la durée nécessaire pour parcourir 300 mille kilomètres ! De quoi t’endormir sur Terre et te réveiller soixante minutes plus tard en ayant atteint la Lune, si tu avais les capacités de la lumière, me lance Marianne sans se retourner. Marianne sur la flèche, devant, dont la silhouette distante d’une dizaine de mètre contraste avec sa voix qui me semble étrangement proche, si curieusement détachée et calme. Nous sommes si infimes, tu sais, dis-je en m’interrompant, sans avoir le temps d’être surpris lorsque Marianne se jette dans le vide. Je…
– Je sais, reprend Marianne. En même temps tes paroles n’ont pas de sens. Aussi peu grand que puisse être un homme relativement au cosmos, il contient quand même suffisamment de filaments d’ADN a l’intérieur de lui pour que ceux-ci mis bout à bout dépassent la longueur de 380 mille kilomètres… L’équivalent de la distance de la Terre à la Lune justement. Tu vois, l’infime pour autant qu’il est l’opposé de l’immense peut être crucial. Et ce qui nous parait immense ne constituer jamais qu’un segment infime d’infini.
– Je suis un peu sonné… Tu as l’air bien passionnée par cette relativité ?
– Je l’éprouve constamment maintenant, répond Marianne sur un ton presque anodin.
Mais la situation me semble vite absurde. Mon pou s’accélère. Je la cherche du regard. Elle n’est nulle part, son corps même pas étendu plus bas sur la route. A la vue de la nationale vingt, le vertige me saisit d’angoisse. J’éprouve bien une seconde sublime de légèreté, d’extase, vite remplacée par une peur immense, à mesure que se dissout en moi la notion d’espace. Au moment où je prends conscience de tomber comme une pierre. J’hurle, me débat dans l’air frais. Je vais éclater sur cette route monstrueuse ! Le bitume se rapproche à une vitesse fulgurante. J’en redoute l’impacte brutal. La violence inouïe de l’éclatement de mes organes m’apparaît comme un flash. Ma peur panique devient furieuse, tandis que je tombe toujours et toujours, hurlant comme un porc qu’on égorge. Mon agitation, toujours plus incontrôlable, la sensation du vide, toujours plus abominable, parcourent mon corps de convulsions.
Je ne vois plus rien, il n’y a plus rien. Tout tourne autour de moi. Je file comme une météorite dans le vide, dangereusement soumis à la pesanteur. Dans un ultime effort, je m’extrais de mon siège. La sueur au front. La chemise collée sur mon torse. Agitant mes yeux ahuris et gonflés, sur le monde tangible que je viens de quitter. Le bureau, le cendrier, le standard, l’ordinateur constituent les éléments de mon réconfort. Absurdes éléments , en vérité.
La lourde porte du hall s’ébranle. Avec un léger retard me parvient le bruit métallique de la clef qui tourne dans le mécanisme de la porte : la jeune fille est déjà dans le hall. Le rectangle de trois mètres de haut se referme derrière elle. Elle tourne la tête vers ma cage de verre. Je la reconnais en même temps que je finis de me réveiller.
– Hello !, lance t’elle, en se rapprochant. J’échappe un « bonsoir, mademoiselle » poli. Ses cils clignent deux fois, avant qu’elle ne s’accoude sur le comptoir, affichant un sourire délicieux.
– J’ai passé la soirée à St Germain des prés… dans une cave ! Il y avait des italiens avec moi. C’était bien et je ne sais pas pourquoi… ( elle baisse la tête ) any way ! Les garçons veulent toujours quelque chose de moi, fait-elle sur un ton de reproche. Tu comprends ?
– Je comprends… Si la fin te semble toujours attendue c’est parce que tu es jolie mais pas assez stupide. Moi aussi tu me fais de l’effet, et je pourrais être ennuyeux … silence. Elle sourit, pas vexée, pour rigoler. Nos regards se rendent compte qu’ils sont séparés par une vitre. Je lui fais un signe qu’elle devance en contournant rapidement le comptoir pour pénétrer l’envers du décor. Ses pommettes sont rosies. Ses dents sont blanches. Sa lèvre est douce. J’éprouve quelque chose pour cette belle étrangère, me dis-je en l’embrassant poliment, alors que je remarque qu’elle a les joues encore à la température de l’air extérieur. Puis quand je recule mon visage : je suis stupéfait.
– Je connais tes sentiments, me dit, abruptement Marianne, alors même qu’assis à califourchon sur la structure triangulaire de la flèche, je sens que je surplombe la nationale vingt encombrée de voitures. Il y a un attroupement en bas…
– Nous sommes un dimanche sur la Terre. Dans le ciel une épée de lumière glisse à travers les nuages. Tu sens le potentiel de cette lumière, me demande Marianne ?
– Comment as-tu fais ça ? lui dis-je. Je suis en train de rêver encore ?
– Bien sûr. Je ne crois pas que tu m’aurais senti sinon. Il faut être « hors conscience », comme on dit « hors monde », pour me percevoir. Demain, ma mère t’annoncera que je suis morte dimanche dernier : ce qui doit faire deux jours. Peut-être trois ? Ou alors quatre ?
– Mais ou es tu ? Je ne te vois pas
– C’est normal, dit Marianne. Et aussitôt, mille images d’elle me reviennent. Certaine qu’elle semble puiser dans mes souvenirs. D’autres, la plus part, qui me sont inconnues. Elle n’a de cesse de parler dans l’intervalle et son discours est a peu prés comme suit :
« C’est normal. Il n’y a plus rien de moi qu’une matière putrescible. Regarde en bas : on m’emmène… Tu sais, je ne suis même plus une sorte de gaz en expansion. Je ne sais pas ce que je suis. Je ne réagis pas à la chaleur de la même manière qu’un être vivant. En Inde, j’ai compris que la combustion des défunts – dont le crâne est enduit spécialement pour, littéralement, exploser, lors de la crémation – entraîne une sorte d’accélération, si on n’a pas voulu se détacher de son double organique. L’accélération augmente le décalage de notre perception. Je ne sais pas de quoi nous sommes fait alors. Il ne s’agit pas seulement d’une question de vitesse, sinon lors de la mort il me semble que le corps céleste en dépassant le mur du son vous ferait entendre une explosion. Je pense plutôt à l’accélération du temps. Une heure n’a pas de réalité pour moi. C’est une jauge devenue inutile qui n’évalue rien de compréhensible, rien de comparable à mon expérience… Je crois avoir dépassé le mur des chiffres. La réalité que je connaissais pourrait me paraître une illusion si je n’éprouvais le sentiment nostalgique de la vie terrestre… Ma Terre doit avoir la dimension d’un système solaire et je ne dis cela que pour te donner une idée. Nous participons de l’anti-matière, mais aussi bien nous pouvons nous confondre avec les photons de la lumière. Je ne peux pas décrire ce que j’entends, ni me mesurer. L’infiniment petit et l’infiniment grand je peux les explorer. Je ne fais que ça. Plusieurs fois, j’ai changé de dimension, ou ai été entraînée dans des systèmes où les atomes étaient combinés de manière extrêmement différente. L’univers tel que tu le suppose m’est situé comme derrière un mur que je refranchis, lorsque j’ai assez dérivé, et qu’un sentiment me projette dans la vie. C’est assez extraordinaire. Te rappelles-tu quand tu me parlais des psychotropes hallucinogènes et m’affirmais que six kilogrammes de L.S.D étaient suffisant pour faire basculer soixante million de personnes dans l’hallucination, pendant plusieurs heures »
– Je m’en souviens parfaitement. Tu étais tellement gaie, tellement folle, ce jour la…
« Et bien cela est à la mesure de mes capacités. Pas de droguer soixante millions d’êtres humains. Je veux dire de n’être même pas un milliardième de gramme et de pouvoir investir la matière organique, provoquer des réactions insoupçonnées, et être capte par les cellules cérébrales…de me tenir hors de la conscience… dans l’inconscient d’une baleine. Investir un labyrinthe de sentiments, puis un milliardième de seconde après, être happée par le moyen de transport qu’est l’onde musicale du chant des baleines… Je connais parfaitement le mouvement de la spirale. Le sens électromagnétique des requins… la vision sensible au champs magnétiques des oiseaux…Je me suis déjà amusée à me prendre pour de la foudre. Je ne saurais décrire la consistance qu’a pour moi la matière. Je suis en elle et pas en elle. Je peux voyager à la vitesse d’une balle à travers les vases communiquant de l’univers. J’aurais pu parcourir cinq cents fois la distance Paris – Bretagne, visite comprise, depuis que tu dors. Quand j’ai exploré les banques numériques de l’humanité et visité les bandes magnétiques, cela m’a permis de changer d’époque. Mais depuis longtemps, je ne transmigre plus vers la Terre. Je vis l’équivalent de deux cents huit jours terrestre en une heure, si cela s’appelle encore vivre. D’ailleurs, je dis cela sans certitudes. Juste pour que tu saches mesurer ce qui nous sépare… Je voulais te dire au revoir. Mes souvenirs humains constituent déjà la plus petite part de mon voyage à travers l’espace. J’ai peur parfois et ai toujours l’impression de réagir humainement. Je crois toujours en Dieu. >>
Après Lou, ton oncle a fermé les yeux. Quand je les ai réouvert ton grand père se tenait prés de moi.
– Ca va, m’a-t-il demandé tout de suite. Tu as gémi toute la nuit, t’es agité comme un diable la tête a l’envers. Tu n’as dormi calmement qu’a sept heures du matin !
– Deux fois, je t’ai entendu hurler, renchérit Thierry, notre nouveau colocataire. On ne savait pas si tu agonisais ou si tu jouissais… personnellement, j’eu préfère que tu agonises. Pas vrai, Fidy ? continua-t-il en regardant ton grand père. Au fait Fidy, vous savez comment on a construit les pyramides d’Egypte ? Moi non plus. En attendant : La forme pyramidale indique que plus longtemps ils travaillaient, moins ils voulaient en foutre. Sinon ils auraient construit des buildings… c’est comme ça !
Chapitre IV : You ‘ll not love me any more…
Cloîtré derrière ma cage de verre, dans cette immeuble sous haute sécurité ou logent les jeunes filles préparant de hautes études, autant de mères du prochain gratin mondain, je ne vois plus ma belle étrangère. Elle m’évite. J’ai été trop loin la dernière fois, ou pas assez, suffisamment disons pour qu’elle se soit trouvée un autre emploi du temps. Cette fois, on s’était pourtant expliqués après s’être embrassés. Elle m’avait dit : « je t’aime et j’en aime un autre aussi beau que toi », « tu veux dire mieux assuré d’une position sociale en correspondance avec tes aspirations, j’imagine. » « Anyway ! je n’aurai jamais du te le dire. Tu es blessant et méchant. Daniel est lui autrement plus élégant que ça. Je ne sais pas s’il est aussi franc. My god ! Je n’en reviens pas de ton culot. Il est inutile de me rejoindre dans ma chambre cette nuit, j’hurle sinon, et je te dénonce. Adieu… Au fait, je suis quoi pour toi ? » « Un grain de sable baby, nous sommes tous des grains de sable … » « Salaud ! » « Attends, même toi tu t’es vautrée sur cette plage avant que ton Daniel sorte de l’anonymat…Bonne nuit quand même miss… » « Va te faire voir… »
Quelle comédienne ! « Anyway », comme elle dirait ; ou « moi quand il y a rupture je préfère ne plus y penser d’un coup et filer droit devant vers autre chose », comme elle me l’avait dit une fois, la garçe ! De toutes façons, il y a des nanas partout au bureau. C’est ce que se dit une partie de moi-même. La plus noble parce qu’aussi la moins sérieuse. N’est-ce pas vrai ? Ne trouves-tu pas Lou, qu’on souffre inutilement à croire qu’il y a quelque chose de sérieux dans l’amour ? Je veux dire, est-ce badiner avec l’amour que refuser qu’un lien psychique se crée entre l’échec amoureux et l’estime de soi ? Car avec l’amour, qu’a-t-on à perdre au fond ? ses illusions, non ? La partie qui s’arrache avec le départ de l’autre, c’est seulement notre idéal du bonheur. Ca repousse ce truc là. Même, il se peut que ça se détache de l’illusion du bonheur et que ne reste que le bonheur sans l’illusion !
Considère mon fardeau : pour aimer trois femme, à cinquante kilos l’unité, disons, j’ai du consommer dix tonnes de chair féminine… Imagine huit cents pieds et mains, des kilos de baisers, des milliards de manières, tous les regards, toutes les douceurs, je ne sais pas combien de neurones. Je veux dire : j’ai perdu je ne sais pas combien de neurones. Pour dire la vérité : j’aurais aimé les femmes autant que je les aurais détesté, et Dieu sait combien je les ais aimées. Maintenant, je sens que certaines fois je suis encore prêt à traverser tout Paris pour un peu de tabac. Auparavant, quand l’amour c’était juste aimer, pour un flirt avec elle j’aurais franchi des montagnes ( ne rigole pas trop de ma niaiserie, Lou, je veux dire par là que j’aurais pris l’avion ), avalé quinze limaces, capturé cinquante araignées monstrueuses ( bien sûr pour les relâcher loin de la vue de leurs meurtrières par procuration ), déployé aussi mille stratagèmes, commencé mille intrigues en même temps, tout le temps, partout, pour surfer à plein sur le roulement … de la vague bleue émeraude de mes sentiments , alors pareils à l’océan, c’est-à-dire : changeant. Et surtout pour conjurer l’hécatombe, conséquence de l’égalité entre une femme et une glace en mon esprit tourmenté. L’égalité des sexes a fait son chemin depuis que ton arrière grand -mère paternelle fréquentais les bals des années trente du xxème siècle, non sans être accompagnée de sa propre mère, laquelle veillait à ce que l’honneur de sa fille ne souffre d’aucun comportement déplacé ! Ton arrière grand -mère qui côtoya ce temps passé où les épouses , faute d’égalité de traitement, ne disposaient pas du droit de vote, ni celui de disposer d’un chéquier sans l’accord de leur mari… Egalité acquise depuis, dont ,à mon niveau, je mesurais mal la symétrie qu’elle signifiait. Car elle impliquait que j’étais moi aussi un produit de consommation soumis à une date de validité , sur le marché de l’amour. Mais tant que l’amour est un flux tendu, il n’y a pas de place pour l’immobile solitude, sœur de la nostalgie et mère du désespoir. Un amour raté se compare au stock d’amour en réserve : il se perd dans une vie de consommation. Le corps est beau, cruel, l’esprit acéré , sûr de son influence, capable de tout, par jeu , par passion, par amour de la vie : posséder ne l’obnubile pas, consommer l’amour sans soucis de ce que c’est : voilà les ressorts de cette façon d’aimer , que d’aucun qualifie de libertinage… .
Mais in fine : est-ce aimer quand même, car mes fameuses dix tonnes, deux cents morceaux de chair, en cinquante ans, cela revient à vivre une aventure tous les trois mois en moyenne. Comme disent des amis de mes amis qui sont infréquentables et pour cette raison qui ne sont pas mes amis : c’est goutter de la nouvelle viande tous les trois mois (les filles le disent aussi, je te dis : ils sont infréquentables). Si on peut estimer que c’est là une vie d’inconstance ou l’inverse, cette boulimie, tu peux comprendre que ton oncle n’ayant pas vraiment cinquante ans que cela ait pu être pour lui une véritable indigestion. Pas celle qui supposerait une limite humaine. Aimer relève d’un sentiment sans limites. Non, aimer un amour en particulier, c’est cela la cause de mon indigestion. O Lou, comme ce n’est pas sérieux : sur deux cents femmes, j’en aurais aime trois. Si fort que ces trois femmes je peux dire les avoir aime chacune plus que les cent quatre vingt dix sept autres réunies. La dernière plus que les deux autres. Ces cinquante derniers kilos (à peine) de mépris auront donc réussi à me faire détester quarante tonnes de femmes ! Aussi absurde que si j’avais renoncé à l’océan pour trois grains de sable…
Evidemment, ma petite Louise, si je t’avoue que parfois je crois que vous autres, les femmes, il faut vous rendre un peu chèvre sinon vous avez tendance à prendre les hommes pour des moutons – tu penseras peut-être que mon dégoût était inscrit dans une considération déjà méprisante. Je te jure que non : j’adore les chèvres ! De leur fréquentation j’ai appris qu’au fond je cherche à aimer une femme qui en vaut mille, et que pour n’avoir pas su la retenir chaque fois que je l’ai vu, je me suis condamné à me contenter des mille qu’elle vaut. Mais tu sais de l’avoir seulement vu m’a détourné du plaisir d’aimer mille fois. C’est mon tord et mon paradoxe : j’ai reconnu la puissance d’un millième d’amour et je renonce à mille amour d’un millième. Considère l’étendue de cette vanité : quel intérêt qu’une chèvre en vaille mille, une chèvre est une chèvre ? Non ? Peut-être comprendras-tu si je te rappelle que le mécanisme complexe de mes sentiments fut mis en échec par un grain de sable, dangereusement banal en tant que grain de sable.
De toutes façons, je me permets des métaphores d’animaux tant il est vrai que la fréquentation du sexe incarnant la puissance de nos faiblesses peut nous conduire à devenir une bête. Sans enfants (et encore), il est difficile de demeurer un homme ou une femme digne de ce nom, pendant nos désastres amoureux. Si j’ai pu être confondu avec un caniche tant je l’ai aimé naïvement, j’en ai pris mon parti. Et je te dis qu’une femme qui en vaut mille est une LIONNE ! Et c’est mal écrit Lou, à chaque fois que je suis tombé amoureux d’une lionne, j’ai oublie de la traiter en chèvre. Alors que je savais qu’à chaque fois que j’ai consumé une chèvre, là j’étais un vrai beau chien ! Moi aussi avec un grain, et capable de tout comme j’ai cassé tous mes jouets, guillotiné toutes mes poupées, détérioré toutes mes voitures, brûlé tous les interdits, certes, sans rien changer à l’ignominie du sable… Là tu te dis : qu’est-ce qu’il a le tonton avec ses métamorphoses animale, lui qui ne sait pas discourir sur le plaisir d’être un lion, un éléphant ? Et plus sûrement depuis que tu lis le début de ce chapitre : ouai ; rigolo ; vrai ? Un produit,l’amour, c’est ça ? ; C’est nase, has been, vulgaire ; les dernières blagues : nulles à chier ! Il en cherche une qui en vaut mille et lui il ne vaut pas un dollar ! Désolé, c’est le titre du chapitre : you’ll not love me any more…
Mais Lou, mon ange, je ne serais que loin de mon propos si cela devait être pour te considérer comme le contenant de mes sentiments. Et je considère que tu ne peux pas lire ces lignes si tu es restée sur l’idée que l’amour ce n’est pas beau. Si tu es passée au « c’est bon », autant qu’au « ça fait mal » et pense « qui dois-je aimer ? » ou « suis-je digne d’amour ». Non, si tu as quarante ans et qu’après avoir aimé les hommes beaux et forts, tu ne sais plus désirer que de beaux coffres forts, là tu touches à l’essence de l’illusion amoureuse, ce que j’essaie de te faire sentir. Ainsi : Tu es un peu aigrie, pas encore assez sénile pour vendre des carottes râpées,non, mais juste assez âgée pour comprendre qu’il te faut un homme et de l’argent. L’amour pour toi se détermine encore par rapport au bonheur en vente libre. Le plus normatif étant d’être au sein de sa famille directe, libre et plus ou moins heureuse avec tes enfants, même si le trouble que provoque l’autre est parti. Vision idéale en fait, ou l’amour correspondait à un tas de désirs identifiés et de besoins répertoriés : un mari, des enfants, une maison, une piscine… même si depuis longtemps : le mari coexiste avec les antidépresseurs . Mais tu es encore dans la force de l’âge à quarante ans, et tu peux encore basculer vers l’autre mirage qui permet de supporter le mirage de la vie : l’amour non idéalisé : qui consiste à plonger sa main dans les grains de sables… Et bien c’est à ce moment précis qu’un amour plus qu’un autre peut te faire détester , aussi bien, tous les autres.
La Déesse, quand je termine ma lecture à haute voix, me regarde et me dit :
– Le mirage de la vie, on dit que c’est un jet, hein ?
– Si tu veux, dis-je, sans avoir le temps de m’énerver. Elle dégrafe ses cheveux et me lance, en me regardant droit dans les yeux :
– C’est dommage que tu ne sois pas prince. Es-tu un peu charmant au moins ? Je suis du regard ses mains se poser sur sa jupe, elle en replie l’étoffe sur ses genoux, puis écarte les cuisses. Le ponton est désert. On entend le bruit de la fête déborder du port et monter au-dessus de la vieille ville. Je suis brûlant… les Dieux ont fait escale à Ibiza.
CHAPITRE V:ne me ressemble pas
Ma chère Louise, aujourd’hui tu as un frère : le petit Paul. Ce livre lui est donc tout naturellement aussi destiné. Paul, mon garçon, on dit que tu me ressembles, nous avons les même bonnes joues, pour ainsi dire nous sommes frère de bouille. Tu es costaud également et si je n’étais au crépuscule de ma forme physique et mentale, toi trop jeune pour qu’on s’en rende compte, les gens compareraient-ils notre orgueil ? Je ne sais. Ce que je n’ignore pas en revanche, c’est que tu auras ton père sur le dos si ,comme moi, dans les creux de ta vie, éprouvant des difficultés à te maintenir au milieu des hommes, ton imagination l’emporte sur le reste, au point comme moi de t’inventer des vies que tu n’as pas, et d’illuminer ton quotidien par le sublime excés de l’illusion. Sache, si tu en arrives à de tels paroxysmes qu’on peut s’en relever, même si cela prend du temps, même si cela est dur de n’être que soi et personne d’autre. Sache que quand on a une faille en soi, le regard d’autrui peut être bienveillant, il en devient une blessure quand de toi on attend plus rien. Et quand tu crois te confondre avec le néant intérieur, il n’y a que ces radicelles d’orgueil qui te liaient à celui que tu aurais aimé être, qui peuvent te sauver. Car quand on coule, on peut traverser tous les planchers : perdre sa femme, son boulot, son statut d’homme intégré et se retrouver parmi la lie de la société. Quand la tête craque, cette lie, on s’y reconnaît dedans. Le clochard te parait plus proche, ainsi que l’handicapé, ou tous autres exclus. Mon monde actuel est fourmillant de ces exclus. Mais chut ! , depuis le déb
ut, je fais croire à ta sœur que je travaille toujours dans le hall de cet immeuble sous haute sécurité pour jeunes filles préparant de hautes études, l’immeuble des Déesses.
Donc, nous sommes quatre gardiens à nous relayer dans le hall. Notre rôle se restreint à l’enregistrement des entrées et sorties et au maintient de l’ordre public. Il se noue souvent des liens entre nous et les Déesses. Selon le dernier sondage que m’avait rapportée la jeune fille dont je parle plus haut, je suis celui qu’elles préfèrent. Moi, d’être leur confident m’enchante. Elles me racontent leurs aventures de jeunes Déesses et je me délecte à l’idée que ma personne les intrigue.Mais chut, chuut ! je raconte que des conneries ! …
La dernière fois, je me demandais le métier que j’aurais exercé il y a cent ans. Je me vis plein de la poussière d’hier dans les veines. Déposée sur mes traces, je pouvais la suivre au delà de la lisière, la où commencent les cheminées et les carrières souterraines pour hommes plein de suie, portant des croix d’ébène pour consolider le fragile eden.
Le temps d’une gamelle me vint l’idée, l’idéal de l’opale couplé à la quête du charbon, puis la révolte devant ces menottes que sont les gants et la pelle et la pioche, et le sens nouveau qui a ruisselé du caniveau pour atteindre cette cathédrale souterraine sans vitraux, que pas après pas on dégorge de son sang. Combat à recommencer, chaque halte à partager, chaque victoire sur la pierre explosée s’efface le soir au chiffon froissé. Gueule noire, poumon noir, esprit noir, magie noire, et sang vampirisé, un jour le maître payera de sa vie la transhumance des damnés enrubannés dans des linceuls de poussières. Il en naîtra un grain de sable capable de faire reculer la machine, me dis-je, mais machine qui dans l’autre sens tournera insatiable qu’elle est de crimes et indifférente aux truies ou aux fruits que sont pour elle les hommes…
Aujourd’hui le mambo est rigolo, mais personne n’a le temps de le danser dans le métro. Le temps est zoo. Les zoulous font coucou, cou a couper, une clef, un billet, un ticket, et hop « ganaisé ». Tandis que les vieilles pendules sonnent aux clous, mécanisme brillantissimes devenus inopérant contre la sottise. Tandis que le marteau fauché par le faux cil est sonné, la cloche assez haut raisonne et raisonnera. Mais les misérables mal entassés dans leurs abris mal chauffés, par le hublot, sont dévisagés par des racistes, sosies espionnant le peuple criant après le ballon des stades de football, demeure guerrière certifiée d’antan. Sur le terrain, le combat est mené et malmené à coup de foudre footballistique par de divins pieds capables de tempérer le pouvoir. Aussitôt, sur le chemin des champignons, le pied d’un gamin est amputé par une mine savante fourmilleuse de projectiles. La cloche sonne et pour ajouter à la misère, certains se font mercenaires. Je reste seul dans mon abri… A quand dix siècles de paix ? Quand est-ce qu’elle finit la cruauté infinie ? Les rapaces de l’or ? La goulue, la chouette, les bastringues, la nuit, chantaient : « Faut que ça saigne pour le règne ! » Alors mon cher Paul, à bord du « Bel-ami » sur le sillage de ton regard coquillage, au-delà du pliage et de l’image, souviens -toi des années pas sages, et des beaux virages. Le temps laisse sur le rivage ceux qui ne répondent pas à l’
appel du voyage. Qu’importe que nous soyons otages de mirages. Sous la plage des présages, des nuages et des orages, plaidons pour un maquillage qui ne soit pas le seul apanage.
Chapitre VI : Ne lui ressemble pas
Dans le chapitre III, sur la pauvre Marianne, à la fin, je parle de Thierry notre nouveau colocataire, tout en drôlerie, le bon mot d’esprit toujours au bout des lèvres, pas vraiment propre sinon, mais toujours prêt à faire bonne figure à l’aide de parfum. Et bien c’est fini, le bougre a quitté le radeau, laissant auparavant une ardoise de quatre cents euros.
Maintenant, ton grand père et moi nous avons à faire à Vincent le clodo, et d’un coup le standing de l’appartement en a pris du plomb dans l’aile tant Vincent le clodo est sale. Depuis son arrivée, il règne un désordre indescriptible dans sa chambre : vêtements, mégots, papiers, cuillères, tasses de café jonchent le sol. Et l’odeur qui y règne effraierait le plus crade des cochons tant ce pauvre Vincent pu. Il faut dire qu’il ne se change qu’à l’occasion. Il arbore sempiternellement une combinaison noire de vigile de sécurité qu’il porte, la plus part du temps, sous un cuir qu’il met avec une robe de chambre trop longue, laquelle dépasse et lui donne l’air de venir d’outre-tombe, ou d’un pays où la décontraction règne chez les clochards en même temps que le mauvais goût. Les voisins se plaignent de lui, aussi. Il faut dire Vincent fait la manche sous nos fenêtres et dans l’immeuble, ça jase. Quand il fait beau, Vincent se déchausse et s’allonge sur le bitume tendant la main à l’approche du badaud. De lui-même, il se dit malade à vie question boulot, et handicapé de la volonté. Du reste, ça fait quinze ans qu’il a rodé son sketches de quêteur. Tant et si bien qu’il connaît les coins qui rapportent et n’hésite pas à squatter les devantures des boulangeries, les coins de marchés, ou sinon il écume les métros s’en allant de sa ritournelle ultra rodée de quêteur roublard qui s’affiche comme tel avec humour, comme c’est ainsi que cela marche. « Un brin d’humour et d’escroquerie reconnue, c’est ce qu’il faut pour que ça paye, dit-il. »
A quarante ans passé, Vincent a le front tailladé de rides, la barbe et les cheveux hirsutes. Il a l’air d’un rebelle éternel avec sa dégaine qui est celle d’un fou joyeux de sa saleté. Sa cervelle pas trop mal faite souffre d’actes manqués, aussi, quand il perd hebdomadairement son argent, les clefs, ses papiers qu’il ne retrouve pas toujours dans son fouillis. Vincent n’a de cesse d’irriter ton grand père dés lors que celui-ci est obligé sempiternellement de repasser derrière lui, quand monsieur utilise la cuisine pour y faire sa mixture trop riche en huile ou son fameux café dont on ne sait pourquoi il macule les murs en de petites gouttelettes brunes. Vincent a l’air d’un petit garçon quand il se fait réprimander et si il est pris la main dans le sac, il aura toujours aux lèvres une parole de déni et il ronchonnera. Tout ce qu’il fait sent le gras, le gros œuvre, la bouillabaisse, et le négligé. Vincent n’est pas un homme c’est un personnage grotesque, tout en excès et sdf dans l’âme. Il s’assimile volontiers aux peureux, aux faibles, aux sans grades, aux exclus en un mot. Ce, même si sa manche quotidienne lui assure un revenu supérieur au notre…
Pendant des années passées dans la rue, Vincent a écumé les squats de tout bord, se faisant un devoir de régaler la galerie en boissons, nourritures et drogues. En des lieux ou on s’explique à coup de poing et au couteau, Vincent a partage les nuits d’êtres mal famés, aussi roublards que mauvais. Dans des squattes plein d’artistes du dimanche protégés par une mafia de dealers trop heureuse de squatter des lieux de vente et de consommation, Vincent a toujours eu le chic de se tirer des mauvais pas et des situations qui devenaient décidément trop dangereuses. Parfois une bagarre lui déchiquetait les dents qu’il a aujourd’hui, symptôme du sdf, dans un état pitoyable. Cela lui interdisant de manger tout ce qu’il veut et accentuant son air déjanté. Parce que Vincent est réellement déjanté : ses rêves : ouvrir un squats, créer une banque panaméenne , se construire une cabane dans les bois, travailler si peu que possible, manger et manger encore en profitant de toutes opportunités de gagner facilement de l’argent.
Lors de mon dernier rêve, Vincent était là à mes côtés. Nous étions en plein désert : des étendues de sable aux quatre coins de l’horizon, tandis qu’une palissade claire abritait nos œuvres : lui, ses dessins, moi, mes tableaux. Sous une chaleur intense nous improvisions des rites de chaman. Les gens des alentours, des touaregs, venaient nous rendre visite pour soigner leurs divers maux et afin d’admirer nos créations. C’était un rêve des plus agréable. Dans le sable, Vincent haranguait les foules :
« Voici encore venue la suave rengaine des papiers collants et volants. Au début étaient une guitare, un funambule et les passagers d’un radeau sans méduse, mais avec une boussole. Ils se parlaient peu, les passagers, faute de salive et d’eau douce. Le pilote écoutait avec une inquiétude non dissimulée les moindres ratés du moteur. Désormais, ils savaient que leur départ n’était peut-être pas le meilleur choix, mais ils avaient été choisis par leur famille afin de provoquer quelque chose. Encore et jusqu’à ce quelconque mouvement de badauds capable de faire une entaille dans le quotidien des villes riches de l’occident.
Hier,embarqués, aujourd’hui grévistes de la faim d’un squat , ils ont décidé d’aller jusqu’à la mort, l’impact a été suffisant pour que le mouvement obtienne gain de cause et puisse ainsi mieux disparaître du jt du soir. Pendant ce temps les ministres européens continuaient de boucler le continent et les USA de construire leur muraille de Chine.
Personne ne peut faire accepter aux opinions des pays riches, ou la pauvreté perdure depuis des décennies malgré les multiples et répétitives politiques de lutte contre un chômage de masse, la liberté de circulation partout sur la planète, sauf à vouloir en finir avec l’état nation. A propos du commerce de l’argent et de la monnaie en générale, il n’est pas invraisemblable qu’apparaissent de nouveaux moyens de paiement indexés sur l’or, par exemple, ou bien sur des actifs réels situés à différents endroits de la planète sans que les états où sont situés ces actifs aient un quelconque droit de regard sur l’usage de ces richesses. L’état de droit démocratique devient un luxe pour des populations souhaitant un minimum de confort social.
Ce qu’on ne voit hélas jamais aboutir, c’est l’effondrement général d’un système qui écartèle l’humanité par des tensions qui dépassent les possibilités d’action de ceux qui sont à la fois conscients du problème et disponibles pour lutter contre ces intérêts très puissants. Sans pour autant que les populations ne soient dupes à l’heure du portable et du net. Donc ne pas céder, c’est garantir aux populations un minimum, c’est survivre tout en ayant les avantages de la citoyenneté et de l’état de droit. Il va sans dire que ces gens ne seront pas dupes et qu’une minorité de nantis ne seront pas quittes des centaines de millions d’affamés qui errent dans les décharges ou les régions désertiques. La politique de la soupe populaire sera le moyen de faire taire l’estomac pour éviter au peuple la séduction du pire.
Rien n’est assez pour ceux qui aiment encore. Malgré tous les soubresauts de la machine, la majorité ne sera pas toujours du gibier. Malgré tout rien n’est fini. »
Et moi de renchérir : » Les ouvriers fuient les chômeurs immigrés! Les classes moyennes fuient les ouvriers ! Les salariés les plus aisés fuient les classes moyennes ! Les classes supérieures esquivent les professions intermédiaires lesquelles sont caractérisées par un refus de se mélanger avec les employés etc… Du point de vue de l’aménagement urbain, cela se traduit par un ségrégation territoriale ! Une précocité et une irréversibilité des destins, de leur lieu de résidence et du conditionnement des inter-actions sociales motivé par une concurrence générale au meilleur niveau de vie. L’environnement sociale immédiat taille dans la ville des quartiers entiers dévastés par l’échec, à l’opposé des zones pavillonnaires de professions intermédiaires ou du centre ville , embourgeoisé. Prenez cela en considération damoiseau et damoiselle : aux meilleurs destins les meilleurs écoles et aux meilleures écoles les meilleurs destin…! l’inégalité d’exposition au chômage, au contrat à durée déterminée , à l’intérim est forte, elle croît ! »
Chapitre VII : La rencontre
Ma chère Louise, voilà quelques mois que j’ai commencé à t’écrire. Je me rends compte en lisant mes notes que je devais t’expliquer pourquoi je voulais me suicider. Puis il m’a paru comme un fait certain que mon désir s’était effrité face à l’exubérant appel de la vie. Oui, je veux vivre, même pauvre, même dans la peau de l’artiste non reconnu que je suis. Passé ce moment d’égarement où il m’apparaissait certain que ma vie devait prendre fin. C’est qu’après avoir aimé cette Déesse de cinquante kilos qui m’avait dégoûté des femmes, le destin m’a fait rencontrer une autre Déesse. Cela tient à peu de chose, tu vois. Or depuis que je l’ai rencontré je ne suis plus au désespoir. J’ai réappris à aimer. Comme quoi rien n’est jamais joué d’avance. Et il faut continuer à espérer. Ce que j’avais fini par oublier tant je me sentais l’âme alourdie de douleur.
Tu sais notre rencontre fut des plus curieuse. Après la mort de Marianne, je m’étais désintéressé de mon travail au point de commettre des erreurs rédhibitoires. J’avais recommencé à me droguer et suite à un soir de garde ou j’avais cru voir un requin transparent envahir le hall des Déesses, je passais la nuit à déménager les meubles, sans rien faire d’autre, ni mes rondes que j’oubliais, ni m’occuper du standard téléphonique que je désertais. On me vira, et je retombais malade ce qui me valu un nouveau séjour a l’hôpital.
Là-bas, il se produisit l’incroyable. Je venais à peine d’arriver que je tombais sur un petit attroupement. Il n’y avait que des jeunes filles. Une particulièrement se tenait debout devant les autres et semblait leur parler comme si elle avait été leur chef, ou du moins l’élément moteur de leur réunion. Sans savoir ce qui me passa par la tête, je m’approchais d’elle et mes mains se saisirent des siennes. Je la fis tourner sur elle-même, et la arrivait l’incroyable : sans s’être concertés nous commençâmes à nous embrasser. Je venais de rencontrer Nadia que je devais ne plus quitter jusqu’à maintenant.
Ma petite Nadia a dix ans de moins que moi, comme quoi l’amour se gausse du nombre des années. J’avais trente ans et elle vingt, quand nous nous sommes rencontrés. Si je ne me suis pas trompé sur l’avenir qui s’offre à nous, tu la verras encore souvent en ma présence. Nadia, d’ailleurs, te connaît depuis que tu es petite, comme elle m’a souvent accompagné à tes baby-sitting. Sans Nadia, je me demande ce que je ferais, où je serais ? Et avec qui ? C’est elle qui m’a fait décrocher du haschich. C’est elle qui pour le moment, après avoir réussi brillamment ses études, fait tourner la marmite en travaillant. C’est elle qui me distrait en m’emmenant dans ses pérégrinations, à droite, à gauche, au restaurant, au cinéma, dans toutes ces boutiques aux quelles je ne suis pas habitué, à Trouville, encore, ou nous avons trouvé un havre de paix pour nos week-end. C’est elle qui m’a fait virer ce gentil mais lourdaud de Vincent. C’est grâce à elle, je le sens, que petit à petit je me remets de toutes mes hospitalisations, et sens que la dépression me quitte, bien que je garde des stigmates de personne sous psychotropes : j’ai les mains qui tremblent, et sans mes médicaments correcteurs je ne suis bon a rien. Même si je ne suis bon a rien la plus part du temps quand, lassé de vivre, je passe mes journées dans le canapé. Puisses-tu ne pas vivre ces moments de désespoir qui me hantent et font de moi un légume et un mort vivant. Puisses-tu si cela t’arrive trouver une âme charitable comme l’est Nadia, pour t’aimer quand même, et agir avec patience avec toi. C’est elle, en vérité, mon réconfort, la force intérieure qui supplée à mes manquements. C’est elle, encore, qui me fait croire qu’à trente quatre ans je ne suis pas devenu moche et vieux. Elle que je vois grandir et combattre comme une lionne. D’abord son entourage lequel se passerait d’un blanc sans travail sérieux ,comme gendre. Je l’ai vu combattre aussi au sein de notre famille pour se faire accepter. Et je lui dois aujourd’hui en partie de croire en moi a nouveau. Mon dernier livre qui devrait paraître, ton père doit faire en sorte qu’il soit présenté à son éditeur le mois prochain, . Alors pour toi et ton frère, ainsi que tous tes petits cousins et cousines, et pour tous les lecteurs le voici ce livre :
( la suite bientôt en épisode chaque mois)
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