Lettre envoyée à Olivier Deprez le 22 septembre 2008 sur le très intéressant site de « La Nouvelle Lettre du Jeudi ».
Monsieur l’artiste graveur, auteur du « Journal d ‘un graveur », permettez moi de vous repondre, tout d’abord en vous disant combien j’apprecie votre style d’ecriture et la facilite avec laquelle celui-ci semble jaillir de votre clavier.
Je percois cependant dans votre appreciation de l’opportunisme artistique de Damien Hirsch une c ertaine melancolie, presque du desespoir a l’idee de trop bien decripter les travers d’une avant-garde londonnienne qui en approchant son but – a savoir: acceder a une reconnaissance artistique internationnale – aurait neglige l’essentiel: une demarche honnete, soutenue par une approche – disons philosophique- qui, additionnee aux moyens utilises, eux aussi honnetes,aurait confere a l’oeuvre ou a la creation une valeur intrinseque propre a la designer comme art,selon le sens ideal , pour ne pas dire idealise, que vous semblez accorder a ce mot.
Aussi, le Veau d’or de Damien Hirsch dans son formol, serait presque une redondance; l’oeuvre serait comme le sujet dont elle traite: une parodie de Dieu comme une parodie de l’art qui n’aurait de valeur que celle monnaitaire qu’on a bien voulu lui attribuer aux encheres. Quelques 14 millions de dollars tout de meme. Mais cela, selon vous, ne saurait faire oublier le caractere malhonnete d’une reflexion sur la mort sans envergure, parce qu’elle aurait tendance a aseptiser son produit par un vernis esthetique denue de dimension ethique, pour le rendre lisse et a vrai dire parfaitement consommable, malgre la repulsion que peut inspirer la presentation d’un cadavre. Que ce soit de l’art, je le crois, ne semble pas vous choquer; que cela soit emblematique de l’avant-garde londonnienne ( que je reduis a Damien Hirsch peut-etre un peu vite) voila plus derangeant. On en serait arrive la!, semblez-vous regretter: un art fait par des businessman pour des businessman, et qui vaut de l’or!; la residant le malheur et le mal-entendu. Malheur parce qu’il y a de quoi penser que l’art est « mort ». Mal-entendu parce que, face a l’extraordinaire transaction financiere – 140 million de dollars lors de la vente aux encheres- celle-ci confrontee a la pauvrete ethique des creations de Damien Hirsch qui n’hesite pas, semble-t-il, a sacrifier la vie d’animaux au nom de l’art, le spectateur a de quoi se dire que l’art, bel et bien, est devoye par ces fossoyeurs mercantiles et, comme vous, peut penser que cela est symptomatique de notre epoque.
Pour autant, Damien Hirsch n’est pas comparable, selon moi, a Jeff Koons, le precedant artiste le plus cher du monde, car la production de Koons montre qu’elle n’est qu’un avatar du pop art Warholien; ainsi pareillement caracterisee par la manie d’elever au rang d’art les produits commerciaux de la culture de masse. Un art souvent de mauvais gout chez Koons, dont la portee philosophique est quasi nulle rapportee aux ready made de Duchamps ( le plus fameux et peut-etre feneant des surrealistes) , lesquels, deja bien trente ans auparavant, choquaient le monde en ouvrant la voie a un art conceptuel ayant balaye les techniques traditionnelles de l’art ( sculpture-peinture), au profit d’installations ou pourraient etre inseres les objets du quotidien. Duchamps a defriche la voie pour Warhol et Warhol pour Koons. Certes, si la premiere fois c’est du genie, decline a l’infini: c’est de l’escroquerie. D’autant plus qu’en bout de chaine, dans le travail d’un Koons n’apparait plus vraiment une dimension critique de la societe. Non, vous avez raison, ces creations sont de plein pied embourbee, sans distanciation, dans une esthetique mediatique de masse ou la panthere rose n’aurait pas moins d’epaisseur dans cet art qu’un wagon de deportes suspendu a une grue…
Bien au contraire de la legerete de Koons, et bien que lui aussi soit un businessman averti, ce qui peut deranger, Damien Hirsch par son style, et tout en proposant aussi des intallations, se rapproche des recherches hyper-realistes, les outrepasse d’une certaine maniere, en presentant l’etre non plus transfigure par le pinceau, mais tel qu’il est dans le processus entropique rallenti: soit encore en chair et en os.Or, son soucis notamment de montrer l’interieur du cadavre, ou comme pour une de ses sculptures d’ange de facture classique, son attachement a reveler au dela de l’apparence le detail medical de ce qu’on distingue sous la peau, illustre parfaitement bien les paradoxes de notre epoque. Ainsi, le regne de l’apparence y est constamment court-circuite par l’omnipresence morbide de l’ephemere. Et la dimension sacree (pensez au Veau d’or) est d’emblee denoncee comme usurpation et reduite par mille detail a la chair morte de l’animal bien reel qui l’incarne.Or cette demarche, si elle manque d’ethique par les moyens employes, denote tout de meme en son coeur l’existence d’une certaine interrogation philosophique dont elle se nourrit.Cela, a mon sens, est la marque d’une demarche artistique coherente. Par ailleurs, je crois distinguer egalement dans le processus mercantile qui environne la demarche de Damien Hirsch, une sorte de cynisme bien surrealiste pour le coup. Car les aquereurs de certaines de ses oeuvres n’auront jamais en leur possession qu’un cadavre dont la putrefaction est juste rallentie. Ce qui pour le commun des mortels devrait etre un motif de satisfaction ou de raillerie, tant il semble stupide d’aquerir si cher une oeuvre si ephemere. Avoir vendu a prix d’or a Saatchi, le plus celebre marchand d’art du monde, un requin dans un aquarium, aujourd’hui bien degrade, parait-il, n’est-ce pas la de la part de Damien Hirscht le summum de l’humour surrealiste?
Vous l’aurez compris: le jeune Damien hirsch ( la quarantaine) ne me laisse pas indifferent et son succes ne me scandalise pas. Pourtant, je suis egalement sensible a la dimension ethique de toutes oeuvre et c’est dans mon travail de creation – tapez patrick rakotoasitera sur google- que , comme vous, je cherche cette voie intermediaire, voir transversale, ou il ne s’agirait ni de copier les maitres passes en les presentant floutte, par exemple; ni d’attiser le ressentiment du grand publique en profitant de la stupidite et de l’avidite commerciale des collectionneurs fortunes.
Or, si je peux comparer mon travail a celui de Damien Hirsch, d’emblee la modestie de mes moyens (que vous prendriez peut-etre pour de l’honnetete), ainsi que mon inaptitude quasi pathologique a integrer le monde dans lequel nous vivons, me semblent etre mes signes ou defauts distinctifs. Je peinds a l’huile des hommes primitifs dont je confronte l’univers esthetique aux fondements lui aussi esthetique sur lequel repose nos societes modernes, lors d’un jeu perpetuel de correspondances avec les oeuvres les plus marquantes des artistes modernes et contemporains. Et a l’instar de mes primitifs, j’ai tente d’avoir une hygiene de vie en accord avec mon ethique: je ne conduits pas, jusqu’a peu, detestais l’ordinateur et tentais d’etre le consommateur le moins zele. De surcrois, la representation sur la toile de tous objets un temps soit peu manufacture ou industriel m’apparaissait incompatible avec ma demarche. Et toutes tentatives d’elever l’art pictural, comme par l’emploi de la perspective – qu’avait imagine d’introduire dans le tableau Leonard de Vinci, afin d’elever son art au plus haut niveau de la hierarchie des arts, en l’enrichissant d’une qualite spirituelle ou scientifique – m’apparaissait vaine. A mes yeux desesperes, l’homme etait dechu, devenu simple materiel de transition, tel les supplicies des camps de concentration, ou produit commercial a part entiere, finalement sans plus de valeurs qu’une vache de Damien Hirsch justement. caracteristique defavorable a mon ambition, n’ayant pas voulu suivre une filiere artistique ordinaire, ma technique de peintre autodidacte ne pouvait rivaliser vraiment avec mes dispositions naturelles pour le dessin. Aussi, dans mes creations les moins abouties, je faisais preuve d’incompetenses stylistiques. Moi, pauvre here, qui croyais tout revolutionner en presentant le monde primitif sous l’hospice du realisme voir de l’hyper-realisme.
Aujourd’hui, je crois m’etre reconcilie avec mon temps, et a ma naivete ( peut-etre mal placee et torturee) des premiers jours, a succede une stabilite interieure correlative d’une plus grande maturite. Desormais, je peux concevoir d’integrer de l’architecture dans mon prochain tableau que je veux appeler: » Veau d’or et cathedrale de fric ». Et intuitivement, je sens qu’est praticable cette voie royale originale et novatrice qui me fera passer definitivement de l’art moderne a l’art contemporain; en participant a un monde ou les apports des differentes cultures de l’humanite pourraient dessiner de nouvelles perspectives esthetiques. Sans se devoyer les unes par rapport aux autres; sans seulement coexister, comme coexistent dans la douleur les rares peuples demeures au stade du neolithique, et leurs contemporains des megalopoles. Ce, dans une demarche ou il ne serait pas seulement question de faire du fric, mais d’avoir du fric pour faire quelque chose d’utile pour les autres.Quels projets altruistes ne pourrait-on pas elaborer avec 600 million de dollars, estimation de la fortune de Damien Hirsch ? Est-ce un artiste devenu milliardaire qui renversera le monde ? … pour ma part, je ne desespere pas.
En attendant, vous pouvez consulter mon site, ou un message, meme critique, de votre plume magique, serait apprecie. En vous saluant, je vous prie d’excuser mes fautes d’orthographe: lorsque j’ai cru pouvoir me lancer dans la litterature, ma pretention m’a conduit a penser que je pouvais faire fi de l’orthographe, et depuis je suis la honte de mes anciens professeurs de francais…
bien a vous.
Patrick rakotoasitera